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« Il faut faire, même si tu rates »
Acteur, scénariste et réalisateur, Martin JAUVAT sera présent au Festival International de Cannes 2022 avec son long métrage Grand Paris selectionné à l'ACID-Cannes 2022.
Leslie, un jeune banlieusard désabusé, entraîne son meilleur pote Renard dans une combine foireuse à l'autre bout de l’Île-de-France. Sur un chantier de la future ligne de métro du Grand Paris, ils découvrent un mystérieux artefact. De quoi aisément en tirer un petit billet. Mais au fil de leur périple, la banlieue parisienne devient le théâtre d'étranges phénomènes. (ACID)
À l'occassion de sa sélection, je suis partie à sa rencontre.
Est-ce que tu peux te présenter ? Ton parcours dans le cinéma ?
Je m'appelle Martin Jauvat, j'ai 26 ans, je viens de Chelles en Seine-et-Marne, une petite ville de banlieue pavillonnaire.
Crédit photo : Lucille Charon-Le Cabellec
J'ai eu un parcours un peu chaotique après le bac parce que j'ai essayé plein de choses avec toujours un petit désir de cinéma plus ou moins affirmé, j'ai essayé une prépa littéraire, une licence d'histoire, une licence de cinéma, ça ne m'a pas plu… Je me suis réorienté en lettres modernes et j'ai essayé plusieurs concours d'entrée d'écoles de cinéma sans jamais y arriver. J'ai beaucoup douté mais malgré tout j'ai, en autodidacte comme on dit, fait des courts métrages dans mon jardin avec mes amis puis, avec des gens rencontrés sur la route de mes études foireuses. Et puis, comme ça, de fil en aiguille, j'ai attiré la curiosité d'un producteur avec qui je travaille maintenant qui s'appelle Emmanuel Chaumet et qui a une boite de production Ecce Films. Il se trouve que c'était peut-être la seule boîte de production que je connaissais parce qu'il avait fait quelques films qui m'avaient beaucoup marqué, notamment La fille du 14 juillet d’Antonin Peretjatko et Gaz de France de Benoit Forgeard. À partir de là, il m'a contacté, il m'a demandé si j'avais des scénarios à lui faire lire... bien entendu c'était le cas. Et puis on s'est mis à travailler et on a fait quatre films ensemble depuis 2018.
En 2020, tu as participé à une résidence d'écriture à Trégor Cinéma pour ton court métrage Grand Paris Express grâce à la bourse en résidence du CNC, qu'est ce que t'as apporté cette résidence d'écriture ?
Cette résidence d'écriture à Trégor Cinéma, c'était ma première expérience un peu professionnelle, ou du moins technique ou même scolaire dans le cinéma. Comme je disais, je n’ai jamais fait d'études à part quelques mois en licence mais tu n'apprends rien en méthodologie de scénario, ce sont des connaissances littéraires, théoriques, de dissertations, d'analyses filmiques… Là, c'était la première fois que je mettais les mains dans la pratique. C’était une expérience inédite pour moi ! Ça m'a beaucoup appris, j'ai tendance à écrire un peu au fil de la plume, avec des inspirations, des idées qui me paraissent étonnantes, j'ai envie que mes scénarios soient toujours étonnants. Peut-être qu'à la base, je me méfie un peu de la technique, de la structure, de la construction des récits. En résidence, avec Fred, j'ai appris qu'au contraire de rendre plus prévisible mes scénarios, ça les affirmait, ça leur permettait d'être plus efficaces, d'être plus profonds... J'ai appris plein d'exercices qui m'ont aidé dans cette méthodologie là et qui me servent encore maintenant pour écrire mes futurs films. À part ça j'ai découvert aussi une super région de Bretagne (rires) que je ne connaissais pas du tout, la côte de Granit Rose et ça, j'ai adoré ! J'ai aussi découvert le vélo électrique ! (rires) Plus sérieusement, j'ai appris à me poser des questions qui donnent beaucoup plus de sens à mes scénarios et à réfléchir de façon beaucoup plus profonde et beaucoup plus efficace sans perdre quoi que ce soit à ma liberté et à la folie de ce que j'ai envie de raconter, au contraire ! Et ça, ça a été une grande surprise pour moi puisque je ne m'y attendais pas du tout en venant.
Est-ce que ton scénario a beaucoup évolué au cours de la résidence ? Qu'est ce que tu as pu approfondir ?
Le scénario a pas mal évolué au cours de la résidence, la preuve, c'est que juste après, j'ai réussi à avoir la subvention du CNC ( ce qui était quand même un peu l'objectif ) et ça, ça n'aurait pas été possible sans la résidence.
J’ai pu approfondir les enjeux, la relation du duo de personnages principaux ( les deux amis Leslie et Renard). C'est ce qui m'a permis de creuser le plus profondément leur relation, leurs attentes à chacun, leurs sensations, leurs sentiments ... Il y a notamment un exercice que Fred m'a appris que j'ai adoré qui s'appelle le « je » des personnages; l'idée c'est d'écrire tout le scénario du point de vue d'un des personnages à la première personne comme une nouvelle. Pour moi qui aime beaucoup écrire depuis petit, qui écrivait des nouvelles avant de me mettre au scénario, c'était un exercice littéraire jouissif. Cela m'a permis de mieux comprendre les attentes de chaque personnage pour chaque scène. Et ensuite, pour le tournage aussi ça m'a beaucoup servi. Comme j’avais fait ce travail avant avec les acteurs, je pouvais mieux les guider et les situer sur l'échelle de l'émotion de chaque scène - dans leurs interactions, dans leurs échanges… Au-delà de ça, ça m'a permis de centrer exactement quel était le sujet, le sujet profond, le vrai sujet pur de mon film : à savoir le sentiment d'enfermement de la jeunesse dans les banlieues parisiennes et ça, j'avais l'impression que c'était un des thèmes bien sûr mais je n’avais pas cerné à quel point c'était vraiment le cœur de ce que je voulais raconter ! Une fois qu'on a réussi à trouver ça avec Fred, c'était beaucoup plus clair pour moi d'écrire un scénario qui aille dans cette direction, qui évite des circonvolutions inutiles et qui soit plus efficace. Et ça, c'était vraiment une grosse prise de conscience qui m'a beaucoup aidé pour écrire et qui m'aide aussi maintenant sur mes autres scénarios parce que j’ai compris quel était le cœur de ce que j’avais envie de raconter.
Comment a évolué ton rapport à l'écriture depuis cette résidence ?
Disons que j'ai réussi à avoir plus de méthodologie et plus de rigueur. Je ne dirais pas que j'ai une formule magique pour écrire plus facilement des scénarios mais je me pose des questions qui m'aident beaucoup. L'écriture, c'est quelque chose qui est important car j'ai envie de faire d'autres films et j'ai envie de les écrire. Pour l’instant, je n’ai pas trouvé d'autres méthodes, d'autres façons de travailler pour pouvoir faire des films... Mais la phase de l'écriture dans ce qu'elle a de solitaire, c'est pas ce qui me ravit le plus en ce moment. En tant que réalisateur, j’aime bien justement travailler avec des personnes différentes tous les jours, dans des endroits différents, échanger, douter, avoir peur, m'enthousiasmer… C’est ça qui est bien à plusieurs. Mais en tout cas, je suis plus performant dans l'écriture, en quelques mois j'ai écrit plusieurs traitements et ça n’aurait pas été possible avant, ça j'en suis sûr et j'en suis très content ! J'ai aussi appris à lire et à avoir un recul plus critique. Maintenant, je suis lecteur pour le CNC.
Tu as adapté ton court métrage en long métrage, comment est-ce que tu as appréhendé le passage entre les deux ?
Je n’ai pas vraiment appréhendé le passage entre le court métrage et le long métrage parce que je les ai écrit en même temps. Pour moi, ça a toujours été le même film. Le long métrage a toujours été le film que je voulais faire. C’était le même geste d’écriture, c’était les mêmes personnages, les mêmes enjeux - que je développais en travaillant plus le genre. Dans le long métrage, (sans spoiler bien sûr), je joue beaucoup plus sur la science-fiction, le film d’aventure - ce que je n’ai pas du tout le temps de faire sur le court métrage. Le court métrage m’a surtout aidé à financer le long. À partir du moment où on s’est engagé avec le CNC et ARTE, on a fait le court métrage bien sûr, mais on a surtout retranché le court métrage du long métrage.
La résidence m’a aidé bien sûr pour écrire le court métrage puisque c’est grâce à ce scénario que j’ai eu mes subventions mais c’est aussi quelque chose qui m’a aidé à réécrire le long métrage ensuite. Je ne comptais pas tellement retoucher mon long sauf qu’après avoir écrit le scénario de court et bien j’ai quand même repris mon long. Donc ça m’a bien servi parce que je crois que le film est réussi et c’est en partie grâce à ça !
Du fait que tu aies plusieurs casquettes, pendant le tournage, est-ce que tu avais la logique de projection, est-ce que tu te mettais à la place du spectateur et arrivait à avoir un regard sur les différents aspects du tournage ?
Pendant le tournage, comme j’avais déjà fait quelques courts métrages et surtout beaucoup de montage, je crois que c’est ça qui fait la grosse différence. J’avais déjà eu pas mal d’occasions de voir ce qui fonctionnait et ce qui ne fonctionnait pas. Pour le jeu, c’était peut-être un peu plus flou parce que j’avais déjà joué des petits rôles dans mes films mais rien de vraiment significatif donc là, d’un coup, je sautais dans le grand bain. Si je me foirais, j’avais pas l’air malin… ça, ça me stressait pas mal.
Pour ce qui est de la mise en scène, en ayant déjà fait des courts métrages, en ayant déjà trouvé une sorte de patte ou de style … Je fais quand même des films qui sont assez simples, la mise en scène est plutôt épurée, pas très découpée, je me sers beaucoup de la BD qu’on appelle « ligne claire » genre Tintin, donc c’est quelque chose qui n’est pas forcément hyper complexe à mettre en place et qui est assez vite reconnaissable.
J’ai travaillé avec un chef opérateur, Vincent Peugnet avec qui j’ai beaucoup beaucoup discuté, je savais donc qu’il n’y aurait pas trop de surprises et que le tournage ressemblerait à ce qu’on avait préparé. Toujours pour la mise en scène, j’avais aussi beaucoup travaillé en amont avec le monteur, Jules Coudignac avec qui on avait déjà fait deux autres films. J’étais assez sûr de nous, assez confiant et en même temps on a eu beaucoup beaucoup d’obstacles sur le tournage. Là, c’était particulièrement compliqué puisqu’il y avait le Covid, il y avait le couvre feu, le confinement, on avait pas le droit d'être dehors, on tournait dans les transports en commun sans masque… beaucoup, beaucoup de challenges. Bien sûr, c’était stressant mais on s’en est bien sorti parce qu’on avait une équipe très motivée, très souple et prête à enfreindre la loi. (rires) Ça, ça nous a beaucoup aidé.
Après moi, j'avais peur du jeu… Mes camarades d’équipe, très gentils, me donnaient des conseils mais ça ne m’aidait pas toujours. Quand personne n’est d’accord et que toi, tu ne sais pas forcément ce que tu as fait… forcément, tu doutes ! Finalement, au bout de 2-3 jours, j’ai trouvé mon rythme de croisière et j’ai commencé à me sentir bien dans ce que je faisais. Je m’entendais très bien avec les autres acteurs donc ça créait une synergie très positive. Peu à peu, je m’y suis mis et j’ai commencé à être plus confiant.
Quand aura lieu la première de ton long métrage ?
La première de mon long métrage va avoir lieu à Cannes dans la programmation ACID et c’est d’ailleurs le film de clôture de l’ACID. Le jour de présentation du film c’est le jeudi 26 mai et j’y vais avec les comédiens, une partie de l'équipe pour faire la présentation en salle. Mais il y aura quelques projections avant, notamment à partir du dimanche 22, le lundi 23 et le mercredi 24.
Des surprises que tu nous réserves dans ton long métrage par rapport à ton court métrage ?
Le long métrage n’a rien avoir avec le court métrage, on pourrait croire que ce sont deux réalisateurs qui l'ont fait ou deux scénaristes … Ce sont vraiment des films complètement différents, que ce soit dans le rythme du montage, dans l’écriture, dans le choix de cadres, dans la musique surtout ; j’ai travaillé avec un autre compositeur qui s’appelle Maxence Cyrin, un pianiste très talentueux qui a fait une proposition complètement différente de la musique plus urbaine qu’on avait choisi pour le court métrage.Bien sûr, il y a plein de personnages en plus, des axes de narration qui ne sont pas du tout évoqués dans le court et qui, dans le long, deviennent le cœur du film. Il y a du film de genre, il y a de l’aventure, de la science-fiction… Le long métrage, c’est vraiment la grosse surprise !
Le mot de la fin : un conseil aux jeunes auteurs qui voudraient se lancer dans l’écriture ?
Il faut faire, même si tu rates, (rires) moi j’ai raté tellement de court-métrages au début, de concours d’entrée à des écoles, à des licences de cinéma, j’ai tout raté… Il faut continuer à regarder des films, continuer à écrire, se perfectionner jusqu’à que tu fasses quelque chose de bien. Il ne faut pas lâcher trop vite parce que personne ne réussit facilement ou rapidement dans ce métier là. Je pense qu’il faut aussi essayer de trouver ce qui est personnel, ce qui est en toi pour être original dans ce que tu as envie de raconter. Il faut éviter d'être trop écrasé par les références de films que tu aimes et dont tu as envie de t’inspirer …C’est plus dur de se démarquer quand tu proposes quelque chose qui a moins de personnalité de prime abord. Ce serait un peu ça mes deux conseils. En tout cas, j’ai l’impression que ce sont les deux choses qui m’ont permis moi, de me retrouver à faire des films au bout d’un moment.
Interview réalisée par Manon Hénaff
© Trégor Cinéma mai 2022